Exposition "Nanterre vécue et imaginée : la ville, le bidonville et l'université"

Cette exposition fait suite au projet d'anthologie de textes de fiction et de témoignages réalisé par le Pôle Métiers du livre, en collaboration avec la Bibliothèque Universitaire.

Vous trouverez ci-dessous un courte sélection des extraits choisis pour l'anthologie et pour l'exposition.

A partir du 15 novembre, retouvez l'exposition "Nanterre vécue et imaginée : la ville, les bidonvilles et l'université" en intégralité à la Bibliothèque Universitaire, dans le couloir des Lettres, au 1er étage.

Les bidonvilles

Monique Hervo, Chroniques du bidonville : Nanterre en guerre d’Algérie, 1959-1962, Paris, Éd. du Seuil, coll. « L’épreuve des faits », 2001

 « Devant mes yeux, une cabane inimaginable : celle de Chîkha l’eurasienne. Cette vue est imprimée pour toujours dans ma mémoire. Quatre piquets de bois : l'armature. Les murs : cartons d'emballage aplatis, punaisés sur des chevrons plantés en terre. Il a plu. De vieux morceaux d'Isorel, gondolés par l'humidité, finissent de façonner l'abri. Et sur cet amas chaotique, du papier goudronné attaché avec des bouts de ficelle – dans les campagnes, les Français utilisent ce papier pour protéger de la pluie les clapiers et les poulaillers. Ce cube, à l'échelle d'une pièce, murs et toit sans pente, couleur anthracite, est troué d'une porte de salle de bal récupérée dans une entreprise de démolition. Pas un semblant de fenêtres. Impossible sans déchirer le papier. L'eau s'infiltre déjà dans les parties concaves qui s'affaissent par pans entiers. Utilisé l'hiver dernier, un poêle repose sur la terre battue. »
 

Éric Kannay et Olivier Lorelle, Hors-la-loi, Paris, Perrin, 2010

« Des bidonvilles comme celui-là, il y en avait plusieurs en périphérie de Paris. Ils se ressemblaient tous. Comme se ressemblaient ici les jours, voués à la misère et à l’humiliation. Leur bidonville s’appelait le « Chaâba de la Folie ». Un terrain vague d’environ vingt et un hectares où, depuis le début du siècle, vivaient des familles de chiffonniers parisiens. Des baraques faites de planches hâtivement assemblées, de parpaings, de cartons, de toile goudronnée, avec des toits de tôle ondulée. Ni hygiène ni eau courante. Des rues étroites et boueuses, des ordures entassées, un ou deux points d’eau pour plusieurs milliers de personnes. Et des rats ! Partout, de jour comme de nuit, on les voyait se faufiler entre les baraques, traverser une ruelle, disparaître on ne savait où. Chacun espérait qu’il ne les retrouverait pas sur son lit en s’éveillant au beau milieu de la nuit. »

Jacques Mondoloni, Le quartier d’où je viens : 50 ans d’histoires au Petit-Nanterre, Pantin, Le Temps des cerises, 2004

 « C’est l’afflux des immigrés qui provoque [l’] implantation [du bidonville], c’est le manque d’espace, les chambres bondées, les couloirs saturés de lits superposés (on se les partage en alternance: équipe de jour, équipe de nuit), qui conduisent les patrons de ces lieux de misère à édifier les premières baraques. Jardins potagers à l’abandon, terrains vagues d’usines, friche de la gare de triage, parc d’aviation de la Folie, la place est libre. Ça arrange les employeurs (Willème, Simca...) qui peuvent fixer la main d’œuvre dont ils ont besoin. Ça arrange la police qui peut contrôler une population sans foyer. Ça arrange des intéressés eux-mêmes pour qui la cabane du bidonville est plus commode, plus « vaste » que le meublé – qu’importe si leurs compatriotes « marchands de sommeil » les exploitent. Tout est prêt pour l’extension, l’excroissance. »

Les cités de transit

Minou Azoulai, Murmures d’Alexandrie récit, Paris, J.-C. Lattès, 2001

« Entre les pavillons des banlieusards et le no man’s land des ouvriers immigrés, la municipalité achevait la construction de cités de transit en préfabriqué. Une dizaine de barres d’immeubles de cinq à six étages devaient servir, provisoirement, de logements sociaux à quelques centaines de familles. Aucun commerçant alentour, aucun lieu de rencontre n’avait été conçu dans ces cités, mais on y dormait en toute tranquillité. L’urbanisme n’était pas encore une spécialité à la mode. Des bâtiments aux façades beiges bordés d’allées portaient les noms de célèbres médecins tels Ambroise Paré, René Laennec, Charcot ou Pasteur. Il fallait parcourir trois kilomètres à pied le long de la voie ferrée avant d’accéder au centre ville et à la gare de Nanterre. »

Bernard Ruhaud, La première vie, Paris, Stock, 1999

« À côté du centre d’hébergement a été bâtie une cité de transit. Des familles y habitent, venant de bidonvilles qui ont été rasés. La municipalité fait raser régulièrement des pans de bidonvilles – tôt le matin, avec l’appui des forces de police – et fait clôturer immédiatement le terrain conquis sur lequel sont entrepris dès les jours suivants les travaux de construction de nouveaux immeubles HLM. C’est ainsi que finira par s’imposer la cité des Pâquerettes, mais il faudra plusieurs années. Les familles arrachées aux baraques détruites sont provisoirement relogées dans des cités de transit, dont celle du bout de la rue des Marguerites. »

La ville

Minou Azoulai, Murmures d’Alexandrie, Paris, J.-C. Lattès, 2001

« Un kilomètre plus loin, au bout de la rue principale, dans le boulevard du Midi, se dressaient deux imposantes bâtisses en brique rouge, les deux ailes du groupe scolaire où garçons et filles effectuaient séparément leur cycle d’études secondaires. »

Bernard Ruhaud, La première vie, Paris, Stock, 1999

« Un peu plus loin, donc, en direction de Colombes et des Quatre-Chemins, nous longeons le mur puis nous atteignons l’entrée de la Maison de Nanterre. C’est incontestablement la plus vaste et le plus solide édifice de tout le quartier. Le plus sinistre aussi, malgré l’acharnement avec lequel il est cerné par la misère. L’horreur et la déchéance ont décidément été reléguées dans ce fond de banlieue adossé aux méandres du fleuve. Chaque jour, l’hôpital déverse puis reprend les petits vieux costumés en épais drap bleu. On en retrouve jusqu’au cœur de la capitale. Ceux qui ne vont plus si loin sont généralement terrassés par l’ivresse dès les abords de l’hôpital. En fait personne ne parle d’hôpital, mais uniquement de la Maison de Nanterre, ou des vieux de Nanterre, tout simplement. »

L'université

► Sa construction et la vie sur le campus

Pierre Grappin, L’île aux peupliers: de la résistance à mai 68 souvenirs du doyen de Nanterre, Nancy, Presses universitaires de Nancy, coll. « Histoire contemporaine », 1993

« La Faculté de Nanterre a été ouverte le 2 novembre 1964. Seul le bâtiment A existait alors : un cube de quatre étages, comprenant une salle de bibliothèque, fournie d’ouvrages dit « usuels », c’est-à-dire de consultation générale. Derrière, deux amphithéâtres, séparés par un hall qui, dans les années suivantes, allait doubler sa longueur. En face un restaurant universitaire, aujourd’hui démoli. »

« Quant aux bâtiments de la Faculté, ils frappaient par leur modernisme, sans recherche. Quatre cubes avec, vers le milieu, une tour plus élevée : sept étages au lieu de quatre. En 1964-1965 nous disposions du seul bâtiment A, un des autres cubes, des deux amphithéâtres placés derrière, et du hall entre les deux. Dans le genre de bâtiments standardisés que nous allions habiter, toutes les salles se ressemblaient et toutes étaient également sonores. Nous n’avions à offrir que des salles de classe, de tailles variées. Toutes appartenaient à la même famille sans attrait. »

Robert Merle, Derrière la vitre, Paris, Folio, 1970

 « Dans le même temps où la capitale envahissait sa banlieue ouest, la Sorbonne, au cours des années soixante, éclatait dans ses vieux murs. L’afflux des étudiants l’asphyxiait. Ils devaient arriver une demi-heure avant les cours, pour trouver, avec un peu de chance, une petite place sur les degrés des amphis ou à même le sol. […]. Il fallut prendre une pénible décision, car enfin on devait bien admettre qu’une partie des enfants de la capitale ne pourraient plus faire leurs études supérieures à Paris. L’Université, de mauvais cœur, l’admit. Les sciences émigrèrent. La Faculté des Lettres, tardivement, s’arracha une partie d’elle-même, regarda autour d’elle où elle pourrait la fourrer, et la jeta sur les hectares vides de Nanterre. La future Fac devait s’élever entre la rue de Rouen et la petite gare de la Folie. Dans la même enceinte, un Institut de Sciences politiques et économiques fut prévu. »©

Victor Beauvais, Économie de l’amour, Paris, J.-C. Lattès, 2011

 « J’annonce le programme du cours. Aujourd’hui, je leur parle de la comptabilité nationale, « la compta nat’ », le petit nom que les économistes lui ont donné. Si les élèves sortent avec une identité plus précise de ce que sont le PNB et son taux de croissance, j’aurai fait mon travail et ils comprendront peut-être un peu mieux les débats télévisés. Je les regarde, j’essaie de sentir comment ils réagissent. Ils sont fatigués, il est trop tôt pour eux, pour moi aussi. Savent-ils à quel point je suis tendu ? Ils pourraient m’attaquer, me massacrer s’ils voulaient. Ils n’en font rien, je ne sais pas pourquoi. Je me sens fragile, j’ai du mal à imposer ma voix. Ça finit à dix heures et demie, c’était long, épuisant, je dois refaire le même cours deux fois dans la journée. Je vais me reposer pendant le quart d’heure de pause, je descends m’enfiler une cannette de jus de pomme. Je ne veux pas attendre dans le couloir avec les élèves, je n’ai nulle part où aller dans ce bâtiment. Je monte au dernier étage et je regarde par la fenêtre, l’autoroute, les tours de la Défense. »

Dominique Perrut, Patria o muerte, Paris, Denoël, 2009

« Tout en travaillant comme remplaçant contractuel dans les collèges, en cette fin d’année soixante-neuf, Frédéric doit passer sa licence de sociologie à Nanterre. En dépit des incitations de ses camarades, il ne s’est pas présenté en juin.
- Ce n’est qu’une formalité, il suffit de t’inscrire. Tout le monde est reçu.
Cette année-là, dans la grande salle des pas perdus, à la gare Saint-Lazare, il n’a demandé que rarement au guichet un billet pour la station qui dessert l’université.
- Un aller simple pour La Folie.
Chaque fois qu’il prononce ces mots, il est secoué par un ricanement réprimé, silencieux. Il ne se présente pas aux examens d’octobre. Marina ne l’y pousse pas non plus. Il n’aura jamais sa licence. »

► Gare de La Folie

Minou Azoulai, Murmures d’Alexandrie, Paris, J.-C. Lattès, 2001

« La ville n’était desservie que par le train, de la gare Saint-Lazare jusqu’à la station Nanterre-la-Folie. De chaque côté des voies ferrées, de grands terrains vagues, parsemés de grues métalliques, de charpentes d’immeubles, de bidonvilles, et de quelques grappes de pavillons et de verdure. Des cabanes – murs de parpaings, toits en tôle –, occupées par des travailleurs maghrébins, dont les enfants jouaient au milieu des carcasses de voitures, des détritus, des bacs en plastique et des flaques de boue. »

Pierre Riché, C’était un autre millénaire : souvenirs d’un professeur de la communale à Nanterre, Paris, Tallandier, 2008

 « Ce qui défavorise Nanterre est l’aspect misérable du campus. Il est encore en plein chantier, seuls les bâtiments A, B et C sont construits, ainsi que la tour administrative ; des hangars sont toujours en place où l’on passe même des examens. Pour arriver à Nanterre, ou bien il faut prendre sa voiture, ou bien le train de Saint-Lazare qui s’arrête à la gare de La Folie, au nom prédestiné, d’autant plus que bientôt on ajoutera « Complexe universitaire de Nanterre ».

 « Tout près de là s’étend le bidonville où vivent Nord-Africains et ouvriers venus d’Espagne et du Portugal. Cette misère scandalise les étudiants qui, déjà par le jeu de la sectorisation, viennent des quartiers favorisés : Le Vésinet, Auteuil ou Passy. Le campus de 28 hectares est clos par un mur hérissé encore de barbelés. Les jours de pluie on marche dans la boue : « Mettez des bottes », prévient-on. »

► Mai 1968

Minou Azoulai, Murmures d’Alexandriet, Paris, J.-C. Lattès, 2001

 « En quelques mois, je quittai ce fade giron intellectuel sans trop de dégâts, puisque ma révolte intérieure concordait avec le mouvement estudiantin qui agita d’abord l’université de Nanterre et aboutit très vite aux événements de 68.

J’y plongeai tête baissée, ne manquant pas une seule assemblée générale, affrontant les barricades, les CRS, les manifs, les critiques, me délectant de la verve des tribuns qui quittaient leurs cours de sociologie pour réveiller ceux de lettres modernes. Je rapportais les propos des leaders à la maison, et lorsque Cohn-Bendit apparaissait à la télévision, je narguais mes parents en me targuant haut et fort d’appartenir au monde de Dany, à celui de Pierre, mais plus du tout à celui qu’ils avaient importé d’Alexandrie. »

La ferme du bonheur

Roger Des Près, La ferme du bonheur : reconquête d’un délaissé, Nanterre, Arles, Actes Sud, coll. « L’ impensé », 2007

 « J’ai atterri à Nanterre après avoir été chassé par la mairie d’Asnières de l’usine où j’étais basé avec un bouc et trois biques, un âne, deux chiens, deux caravanes, un barda de spectacle, un atelier, etc. pour jouer Paranda Oulam, mon spectacle fondateur, sous le chapiteau de l’école de cirque de ce vieux bougre de Nowak qui m’a dit : « T’as qu’à t’installer par là-bas, tiens ! J’en ai causé à la mairie. »

Et là, planter des graines, construire vite des abris pour les choses, les bêtes et les hommes, savoir où est le métro, le véto, le marché... s’installer même si le directeur du développement culturel de la ville me glisse aux premiers jours de mon installation : « Tu sais, il y en a pour deux ou trois ans maxi, parce que, sur ce terrain, on va construire un IUT »... Créer des spectacles quand même, apprendre cette ville, résister à sa brutalité pour la transformer en poème... »